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Orientation et parcours des filles et des garçons dans l’enseignement supérieur - Christine Fontanini

Mars 2017

Recension de Sophie Orange

Orientation et parcours des filles et des garçons dans l’enseignement supérieur - Christine Fontanini

Presses Universitaires de Rouen et du Havre, Collection « Genre à lire… et à penser », 2015, 214 p.

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L’ouvrage de Christine Fontanini constitue une importante synthèse des recherches sur l’évolution des choix d’orientation des filles et des garçons dans l’enseignement supérieur depuis une trentaine d’années. Les travaux convoqués sont principalement issus de la sociologie, de la psychologie et des sciences de l’éducation. L’auteure complète cette revue de la littérature par la mobilisation de résultats issus de ses propres recherches sur l’orientation des filles dans les classes préparatoires scientifiques, les écoles d’ingénieurs, les sections de techniciens supérieurs (STS) industrielles ou encore les formations à l’enseignement, ainsi que sur la construction des représentations sexuées des professions, notamment par le biais de la littérature de jeunesse. De manière générale, les travaux portant sur les choix scolaires féminins occupent une place plus importante que ceux portant sur les choix scolaires proprement masculins. L’auteure regrette elle-même qu’il n’y ait que peu ou pas d’études sur les orientations masculines atypiques ou encore sur le processus de désaffection des garçons à l’égard de certaines filières de l’enseignement supérieur.

L’ouvrage vise plusieurs objectifs énoncés en introduction. L’auteure souligne d’abord la nécessité de rompre avec une vision naturalisante des goûts et des aptitudes féminins et masculins, et le rôle déterminant des socialisations différenciées dans les inégalités de parcours et d’ambitions entre filles et garçons. La responsabilité des médias dans ce processus de cristallisation des destins est notamment pointée. Au-delà d’un retour sur la genèse et la construction des goûts durant l’enfance, l’auteure invite également, pour éviter tout écueil essentialiste, à étudier les choix des filles et des garçons conjointement, en les replaçant dans leur dynamique historique. L’évolution des pratiques d’orientation sur le temps long est une façon de remettre en cause l’immuabilité des préférences sexuées.

La comparaison régulière avec des configurations étrangères permet également de spécifier les singularités liées aux contextes nationaux et de contribuer à déconstruire encore davantage la thèse d’une universalité des goûts et des projets féminins et masculins.

L’ouvrage se compose de trois parties. Une première partie, plus courte que les deux autres, replace la question des choix d’orientation féminins et masculins dans le contexte plus large de la massification scolaire de la deuxième moitié du XXe siècle et donne des chiffres clés sur l’augmentation générale de la part des filles dans l’enseignement secondaire et supérieur au cours des dernières décennies. L’auteure pointe quelques caractéristiques notables de l’accès des filles aux études longues à propos desquelles les parties 2 et 3 de l’ouvrage apportent des éléments d’explication : la féminisation de certaines filières auparavant exclusivement masculines (médecine, magistrature, vétérinaire, etc.), le maintien de certains bastions masculins (classes préparatoires scientifiques à spécialité mathématiques ou physique) et l’évaporation des filles à mesure de l’avancée dans les études (plus faible présence féminine en doctorat). L’auteure rappelle à ce titre le paradoxe constaté par de nombreux travaux : si les filles réussissent scolairement mieux que les garçons dans l’enseignement secondaire, elles procèdent à des poursuites d’étude dans l’enseignement supérieur moins ambitieuses que les garçons.

Pour comprendre ce problème, l’auteure rappelle la nécessité de ne pas séparer la question du genre de celle de l’origine sociale, mais aussi d’autres variables telles que l’appartenance ethnique, l’origine géographique ou encore l’établissement de provenance. Les recherches montrent en effet que l’appartenance sociale des élèves et des étudiants vient s’ajouter à l’appartenance sexuelle pour expliquer les différences observées dans les parcours. Le niveau de diplôme de la mère a ainsi davantage d’influence sur la réussite scolaire des filles que sur celle des garçons. En outre, l’auteure mentionne la thèse de la sursélection scolaire des filles dans certains cursus prestigieux comme les classes préparatoires aux grandes écoles, à savoir leur plus forte dotation scolaire par rapport aux garçons dans des cursus où elles sont minoritaires.

La première partie est aussi l’occasion d’évoquer la question de l’insertion différenciée des filles et des garçons sur le marché du travail. Si les filles sont tendanciellement moins touchées par le chômage que les garçons, leurs conditions d’insertion demeurent moins bonnes que leurs homologues masculins : elles accèdent moins souvent à des emplois de cadres ou de professions intermédiaires, elles sont plus souvent confrontées à des formes d’emplois atypiques (temps partiel, etc.) et perçoivent des rémunérations moins élevées.

Après un bref retour sur l’histoire de l’orientation scolaire, la seconde partie fait la synthèse des travaux de recherche portant sur l’orientation des filles et des garçons dans l’enseignement secondaire. Selon l’auteure, ces premiers choix préfigurent pleinement ceux opérés dans l’enseignement supérieur. Dès le lycée, filles et garçons sont inégalement répartis dans les différentes filières. Les premières s’orientent moins que les seconds vers la voie scientifique à l’issue de la classe de seconde et, à l’intérieur de cette filière, elles ne privilégient pas la spécialité mathématiques, considérée comme la plus prestigieuse. L’auteure évoque plusieurs cadres interprétatifs pour expliquer que les filles n’empruntent pas les filières les plus rentables scolairement et socialement, et ce, dès l’enseignement secondaire.

La socialisation de genre conduit en premier lieu filles et garçons à intérioriser des rôles spécifiques attachés à leur sexe, au sein de leur famille ou à l’école. Les mêmes qualités ne sont pas attendues et donc encouragées chez les unes ou chez les autres : « davantage de sollicitations verbales et prosociales en direction des filles, plus de stimulations de l’autonomie des garçons dans la résolution des problèmes et de jeux physiques avec eux » (p.69). La littérature, les jouets ou encore les médias contribuent également à la définition de métiers proprement féminins ou masculins, mais aussi de rôles sociaux spécifiques. Les filles sont ainsi fréquemment associées aux fonctions du soin aux autres et au travail domestique. Elles sont représentées, dans les albums ou magazines de jeunesse et dans les catalogues de jouets dans des métiers tels que puéricultrice, toiletteuse pour chiens, vétérinaire, assistantes, etc. L’institution scolaire contribue également à cristalliser dès le plus jeune âge les rôles sexués. Les filles sont souvent perçues par les enseignants comme scolaires et besogneuses tandis que les garçons sont considérés comme n’exploitant pas toutes leurs capacités. Les interactions entre les enseignants et les élèves traduisent cette perception différenciée et participent d’« une construction scolaire des différences entre les sexes » (p.73). Des études montrent que les comportements de garçons en classe font l’objet de plus de liberté (déplacements, bavardages, etc.) ou encore qu’ils font plus souvent l’objet de remarques d’ordre cognitif dans le cadre d’un enseignement de mathématiques que les filles. Ces situations contribuent à renforcer ce que les psychologues nomment les « stéréotypes de genre », qui peuvent selon eux expliquer des formes d’autocensure des filles face au choix d’une filière compétitive ou scientifique.

Enfin, la répartition différenciée des femmes et des hommes dans les secteurs d’emploi produit des représentations de l’avenir segmentées selon le sexe. Comme le résument Margaret Maruani et Monique Méron, citées par l’auteure : « La moitié des femmes qui travaillent exercent 28 professions de la nomenclature actuelle (sur 486 répertoriées) alors qu’il faut lister 75 métiers pour atteindre la moitié des effectifs des hommes qui ont un emploi » (p.82). Ainsi, dans leurs projections professionnelles, les collégiennes et lycéennes ne s’imaginent que peu dans des professions essentiellement exercées par des hommes. Certains travaux mettent en cause également l’anticipation par les jeunes filles du travail domestique qui leur incombera à l’âge adulte, et qui contribue à leur faire opérer des « choix de compromis » (p.83).

La troisième partie, consacrée aux seuls choix d’orientation dans l’enseignement supérieur, présente un certain nombre d’arguments et de facteurs déjà évoqués dans la partie précédente. Il apparait en effet que se rejouent, au seuil du baccalauréat, les mêmes mécanismes d’auto-exclusion ou d’éviction observés aux paliers inférieurs d’orientation, et qu’ils procèdent de logiques similaires. L’auteure commence par rappeler le poids important de l’origine sociale dans les orientations, mentionné par de nombreux travaux, qu’ils s’appuient sur un cadre théorique bourdieusien (intériorisation d’un destin probable par les individus) ou boudonien (calcul de coûts / avantages opéré par les individus).

Christine Fontanini précise ensuite la partition sexuée des filières de l’enseignement supérieur, indiquant la prégnance de bastions masculins tels que les filières scientifiques universitaires, les STS industriels ou encore les grandes écoles d’ingénieurs généralistes. Elle revient à cette occasion sur les explications sociologiques et psychologiques de cette faible présence des filles (autocensure, métiers associés non identifiés comme masculins, faibles incitations parentales et professorales).

La féminisation d’un certain nombre de cursus de l’enseignement supérieur, auparavant exclusivement ou quasi exclusivement suivis par des hommes, prouve que « le caractère dit masculin ou féminin d’une profession est volatile au cours du temps » (p.159), de même que le caractère dit masculin ou féminin d’une discipline scolaire. L’auteure décrit ainsi l’entrée massive des filles dans plusieurs filières de l’enseignement supérieur au cours du XXe siècle, comme la formation pour le barreau ou à la magistrature, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, les études en pharmacie, en médecine, en dentisterie, les études vétérinaires, les études d’agronomie ou encore la formation des commissaires de police.

Deux arguments principaux peuvent être retenus pour expliquer cette féminisation. Tout d’abord, un point commun de ces filières est la baisse des inscriptions masculines. L’arrivée massive des filles dans ces cursus s’est donc faite à la faveur de leur désertion progressive par les garçons. Ensuite, l’évolution des modes d’exercice de certains métiers constitue une autre piste d’explication de l’augmentation des effectifs féminins dans certains cursus. Par exemple, la profession de vétérinaire est devenue moins physique (davantage d’animaux de compagnie) et offre de nouvelles formes d’emploi plus compatibles avec la vie de famille (salariat plutôt qu’exercice en libéral).

L’auteure conclut cette partie par l’observation du processus inverse, à savoir l’orientation des garçons vers des filières majoritairement féminines, comme les formations du travail social ou de l’enseignement. Il apparait que les hommes qui choisissent ces carrières cherchent souvent à se distinguer des femmes en accédant à des fonctions de direction ou de management, plus en adéquation avec les qualités définies comme masculines.

Une grande qualité de l’ouvrage de Christine Fontanini est son ambition de chercher à couvrir l’ensemble des filières de l’enseignement supérieur et de ne pas se limiter aux filières prestigieuses et aux cursus scientifiques, faiblement prisés par les filles et qui ont pu faire l’objet d’une attention particulière des travaux de recherche récents. L’auteure balaie ainsi presque l’intégralité de la hiérarchie des formations post-bac, depuis le bas (STS, IUT, écoles paramédicales et du travail social) jusqu’à son sommet (grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, écoles supérieures d’art, École nationale de la magistrature, etc.). L’inventaire des travaux de recherche couvre également un spectre disciplinaire très vaste, qui permet de comparer l’évolution des orientations dans des formations très variées : commissaire de police, dentisterie, enseignement, travail social, ingénierie, etc.

Une autre grande qualité de la synthèse proposée est de ne pas se limiter au recensement des travaux scientifiques, mais de les mettre en perspective avec l’évolution de la législation liée à l’égalité entre les sexes dans les parcours scolaires et professionnels. L’auteure renvoie ainsi régulièrement et précisément aux lois et aux circulaires afférentes. En cela, l’ouvrage offre à la fois aux chercheurs des éléments de cadrage politique et juridique pour penser la question des choix scolaires, mais aussi aux professionnels de l’orientation scolaire des ressources scientifiques pour mettre en perspective et décoder les enjeux des dispositifs mis en place. L’ouvrage a l’intérêt de multiplier les points de vue et de penser l’orientation scolaire des filles et des garçons en mobilisant des travaux non exclusivement centrés sur les élèves et les étudiants. L’auteure convoque en effet plusieurs études sur les représentations et les pratiques des parents d’élève, des enseignants, des médias ou encore du monde professionnel.

À la lecture de cette synthèse très complète, on peut seulement regretter une impression de redondance dans l’exposition des thèses explicatives de la différenciation des parcours féminins et masculins. Le découpage de l’ouvrage entre enseignement secondaire d’une part et enseignement supérieur d’autre part, puis la division interne des parties selon les types de filières obligent en effet à énoncer à plusieurs reprises les mêmes facteurs causaux qui se rejouent à plusieurs niveaux du système scolaire. Mais la logique d’exposition adoptée a le mérite de permettre un usage thématisé de l’ouvrage et l’accès facilité à des présentations précises par formation.

Sophie Orange, Maître de conférences en sociologie, Centre Nantais de Sociologie (CENS), Université de Nantes

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