Octobre 2016
Recension de Jacques Thullier
School Business. Comment l’argent dynamite le système éducatif - Arnaud Parienty
Éditions La découverte, "Cahiers Libres", 2015, 248 p.
Lien vers l’ouvrage
Entre autres mérites, ce livre possède celui de présenter un propos apparemment aussi clair et éloquent que son titre. Son point de départ est fourni à l’auteur par le hasard ou l’aubaine d’une mutation qui le conduit d’une Zone d’Éducation prioritaire (ZEP) dans un lycée prestigieux d’un quartier chic. Il observe alors ce que chacun peut voir. Surtout, il recueille nombre d’informations auprès de ses élèves, de ses relations, amis parents d’élèves, collègues enseignants, lesquels il écoute avec l’attention que requièrent les découvertes qu’il accumule à la faveur du changement de milieu pour lui devenu observatoire de l’état en devenir du système éducatif. Et ce qu’il découvre est ahurissant. Sans doute, les opinions, les expériences vécues, les témoignages restent a priori isolés, sans portée généralisable, bref, ne forment pas d’eux-mêmes un savoir solidement constitué. Mais confrontés à des rapports officiels, à des études, à des travaux scientifiquement appareillés, ils s’éclairent, prennent leur place, s’authentifient. De fait, le livre d’Arnaud Parienty s’avère très documenté. Et l’entrée en congruence de la variété des sources nous met ainsi sur la voie de comprendre que se tissent finalement en réseau des pratiques, des stratégies d’évitement ou de contournement des règles, que se constituent en système plus ou moins sinueux des perversions, des corruptions apparemment éparses, sans lien évident les unes avec les autres, lesquelles dès lors ne peuvent plus passer pour des embardées d’exception. Cette congruence possède une autre vertu : renvoyer en écho l’une à l’autre, comme par réverbération, l’expérience concrète, vécue in situ, et l’approche abstraitement savante. Mais pas seulement. Peu à peu les deux s’appellent mutuellement, se complètent, encore que sous une forme particulière. Il y a précisément que les anecdotes dont l’auteur émaille son texte prennent statut de symptômes. Le perceptible devient indice, signe, stigmate de quelque chose d’autre. Tous les exemples donnés, de prime abord étrangers les uns aux autres, convergent en vérité vers cette constatation qu’en ce grand corps de l’école un abcès énorme s’est formé. Et la fièvre qui le saisit et atteste qu’il pourrit est celle de l’argent.
D’où le titre de l’ouvrage « School business ». Un mot anglais affublé d’un anglicisme et, en l’occurrence, pour qui garde en mémoire les principes de l’école républicaine, un oxymore. Mais l’indication, aussi, non pas que le marché mondial de l’éducation a gagné le système français comme de l’extérieur (p.189), mais au contraire, selon l’auteur, que c’est « la France (qui) est mûre pour intégrer (ce marché) » (p.174). On reviendra sur l’incertitude qui pèse sur le statut d’une telle déclaration. En attendant, voilà donc que l’école s’ouvre à l’affairisme, conséquence plus ou moins directe de son ouverture à la société civile, tribut de plus payé à la rupture avec son indépendance en droit à l’égard de ladite. L’auteur nous en avertit, il s’efforce de répondre sans tabou aux questions que lui inspirent ses découvertes (p.21). Il ne mâche pas ses mots en effet, et s’il parle de dynamitage du système par l’argent, c’est à la fois sans métaphore ni abus de langage. Il met par là à nu la violence destructrice qui fait éclater les règles traditionnelles qui structuraient l’école républicaine, la confortaient tant bien que mal dans son projet émancipateur. Tout le nerf de sa démonstration est là : montrer que le déferlement d’un certain type d’affairisme qui s’empare du système éducatif, l’élit comme cible, se goinfre du potentiel économique dont il est gros et le convertit en fonds de commerce, finit par ruiner « le principe fondamental du service public » (p.60), à savoir « l’égalité de traitement des usagers » (id.) qui veut que tous les établissements bénéficient des mêmes programmes, des mêmes horaires et du même corps enseignant. Soit dit en passant, on peut s’étonner de trouver ici, au cœur de l’évocation d’un service public d’éducation, le concept consumériste d’usager pour désigner qui fréquente ce service assigné à son éducation, même si, comme on le verra, l’auteur le justifie dans des termes (cf. p.189) qui ne laissent pas d’interroger. Quoi qu’il en soit, l’idée est bien là : le pouvoir délétère de l’argent attente frontalement au principe général de la gratuité de l’enseignement (p.20, 21, etc.) et à celui de l’égalité républicaine, ainsi « devenus de vains mots », comme par ailleurs il fait fi de « la morale publique » et transgresse les hiérarchies méritocratiques (p.12).
Arnaud Parienty prend certes sur ce point la précaution d’allumer un contrefeu : « l’argent n’est pas tout, loin de là » (p.72), encore que, nouveau contrefeu, il sache n’inventer rien, tant il est vrai que le sésame lié à l’argent ne date pas d’hier. Mais son objet n’est pas là. Il est dans la prise en compte du changement hallucinant d’échelle de ce phénomène. Et dans ce contexte, si l’argent en effet n’est pas tout, il faut reconnaître que c’est lui qui, in fine, fait la différence (p.12). Dès lors, dans ce même contexte, il n’est plus question de considérer que « les entorses à l’égalité républicaine restent attribuées au tropisme de tel domaine » (p.20) comme s’il ne s’agissait que d’exceptions trop isolées pour vraiment attenter à la règle générale. « En réalité, écrit l’auteur, une fois le tableau complété, c’est l’image d’un système profondément corrompu » (p.20), « perverti » (p.21) qui s’impose à qui l’observe.
Le recours au vocabulaire moral peut ici étonner. Il apparaît en tout cas en phase avec les références politico-institutionnelles dont il s’autorise, avec la pente intellectuelle des analyses produites, et il fournit un éclairage sur le sens de la démarche poursuivie. Il nous paraît significatif, à cet égard, qu’Arnaud Parienty n’associe pas le changement d’échelle du règne sans partage de l’argent à un changement de paradigme politico-économique. Pourtant, à supposer qu’il soit « difficile de construire une école égalitaire dans une société qui ne l’est pas » (p.71), on peut se demander dans quelle mesure cette focalisation sur l’argent ne substitue pas la prosopopée d’icelui aux volontés particulières des oligarchies qui confisquent à leur profit tout ce qui est public. Pourquoi une société inégalitaire voudrait-elle une école égalitaire ? L’auteur ne feint-il pas de considérer que la volonté générale a encore voix au chapitre ? Les principes républicains ont volé en éclat et c’est à présent la commission européenne qui décide des fins de l’école. Qui pourrait affirmer que ses missions demeurent les mêmes qu’en régime républicain ? Or, la démarche d’Arnaud Parienty ne le conduit pas directement sur ce terrain. Il ne saisit pas d’abord les dérives de l’école comme des transformations imputables à une politique délibérée et télécommandée. Il reconnaît seulement que « la crise financière de 2008 a dévoilé l’évolution du rapport à l’argent dans notre société […] Il aurait été étonnant que l’école soit épargnée. Il est choquant de constater à quel point elle en est transformée » (p.20). Mais est-il bien vrai que la mutation du service public d’éducation ne soit qu’accidentelle (c’est-à-dire liée à cette crise) ? Comme si la crise de 2008 était autre chose qu’un risque prévisible et assumé comme tel ! Toutefois, à supposer qu’il soit pertinent d’arguer d’un changement de paradigme politico-économique, l’impasse faite sur ce point n’objecte rien à l’intérêt de la démarche suivie par l’auteur. Car celle-ci consiste à pister les effets de dynamitage des combines, des manipulations, de l’instrumentalisation des failles d’un système qui se prête plus ou moins innocemment au contournement des normes censées s’imposer à tous. Autrement dit, ceux qui disposent d’un pouvoir lié à l’argent se comportent, quelles que soient leurs opinions, comme les alliés objectifs, offensifs, pugnaces des prédateurs néolibéraux. Soit, Arnaud Parienty ne dit mot de cette alliance. Ôtons-la donc provisoirement, elle ne s’inscrit pas dans sa démonstration et c’est peut-être bien précisément ce qui l’entache d’une ambiguïté que le recours à un double langage ne fait par ailleurs que renforcer. C’est sans doute ici le lieu de le dire, on a le sentiment fort que tout le système nerveux de l’ouvrage est là : montrer que les « usagers » collaborent avec ardeur, et sans qu’ils y soient obligés, au processus de la destruction de la normativité républicaine propre à l’institution éducative. En même temps, si ce n’est pas faux, ce n’est pas non plus totalement vrai et la lecture du livre en convainc : comment, en effet, ne pas relier le règne de l’argent à l’agencement mondial de son pouvoir ? Mais le dynamitage des principes universels est transgression, non pas annulation. Les principes, par essence anhistoriques lorsqu’ils sont universels, demeurent des principes. Y avoir recours, ne revient donc pas à revenir par nostalgie à un passé dépassé. En revanche, s’en prévaloir lors même que l’état des mœurs politico-sociales les bafoue constitue peut-être pour l’auteur le premier acte qui pour lui équivaut au piétinement d’un tabou. On juge des faits à partir des principes et non point des principes à partir des faits. C’est pourquoi on peut comprendre qu’Arnaud Parienty se dise « choqué » par la perversion du système éducatif et par la corruption qui le gangrène. Mais choqué, vraiment ? Il tient pourtant, à la fin de son ouvrage, un autre discours, où les faits prennent le pas sur les principes. Double langage ?
Les questions initiales que se pose l’auteur lui sont occasion de dresser un état des lieux du système éducatif en France – des faits, des faits choquants, des faits jugés moralement d’abord, avant, à la fin, que ces faits se délestent de ces jugements et soient soumis au tribunal incertain d’un « choix de société » (p.239). Quelles questions ? « Comment arrive-t-on au lycée Quesnay [lycée prestigieux d’un quartier chic] ? Pourquoi même les élèves faibles de Quesnay obtiennent-ils le bac ? Pourquoi mes élèves sont-ils bons en langues ? Pourquoi réussissent-ils leurs études supérieures, y compris lorsque leurs bases sont fragiles ? Pourquoi refusent-ils obstinément d’aller à l’université ? » (p.21). On a déjà là, presque, tout le plan de l’ouvrage. Puis, p.95 : « Pourquoi tant d’élèves en difficulté en histoire ou en maths obtiennent-ils une moyenne générale honorable à François Quesnay ? Parce qu’ils sont bons en langue. Et ils sont bons en langue parce que leurs familles sont aisées ». D’une certaine façon, à peu de choses près, tout est dit ; no comment, l’ellipse elle-même est parlante. Ainsi procède l’auteur. L’ouvrage commence d’ailleurs par faire état de renseignements fournis par Gaby, une élève dudit, en section ES, sur l’art d’esquiver la sélection drastique qui sévit à l’entrée des études dentaires (passer un bac S, un concours à la fin de la première année commune aux études de santé…) : il suffit d’aller se former en Espagne, très cotée en la matière ; budget prévu : 30 000 euros par an… Une opportunité ! Qu’en pense le professeur ? « Après coup, cela semble évident. Enseignant l’économie, le dynamitage par l’Europe des normes nationales n’a rien pour me surprendre » (p.9). Voilà déjà un propos clair : il y a bien quelque chose qui advient de l’extérieur. Dans la même veine, « comment suivre des études supérieures qui mènent à un bon emploi quand on a un niveau scolaire fragile ? » (p.119). En ayant recours aux écoles privées : les frais de scolarité élevés limitent à la fois le nombre de candidats et leur sélectivité. Et comme les entreprises tendent à préférer, à niveau académique équivalent, les diplômés des écoles à ceux des universités (p.123) au motif qu’elles privilégient les savoirs non académiques (p.124), il n’y a pas à s’étonner de voir « des élèves souvent moyens [trouver] facilement un emploi de cadre ». Même « un cancre notoire » (p.129) peut ainsi, grâce à la capacité financière de ses parents, avoir accès à une école de commerce. D’où un sentiment d’injustice : « les enseignants sont […] parfois amers d’observer cette réussite si peu liée au mérite scolaire, en termes d’efforts comme de résultats » (id.). Ainsi, miracle de l’argent, n’importe qui, pourvu qu’il soit fortuné, peut courir vers le succès et le bon emploi et voir devant lui s’écarter les obstacles comme la mer rouge devant les Hébreux.
Le ressort principal du raisonnement d’Arnaud Parienty semble pouvoir se structurer en trois points. 1) L’argent public se raréfie. Le budget de l’Éducation nationale n’accompagne pas l’évolution démographique, l’enseignement public se détériore (p.238), ses lacunes se creusent. 2) Devant l’ampleur du chômage, les parents s’affolent, s’angoissent, sont gagnés par une peur stressante de l’avenir (p.80). Ceux qui ont de l’argent se montrent donc prêts à financer pour leurs enfants toutes les aides possibles, à contourner à grands frais carte scolaire, sélection de filières, à avoir recours au privé, etc. 3) La demande appelle l’offre : c’est la « beauté » ou le « miracle » de l’économie de marché (p.90 & 238) : « Le privé prospère sur l’insuffisance de l’enseignement public » (p.16) comme les prépas sur les faiblesses de l’université (p.15).
L’ouvrage contribue donc à sa façon à rendre compte de la sévère aggravation des inégalités scolaires liées au revenu des familles : « la géographie des résultats des établissements reproduit celle des revenus. Dans les beaux quartiers, malgré l’infinie capacité des parents d’élèves à hiérarchiser, les établissements sont bons. Dans les cités pauvres, tous les établissements sont en difficulté, quels que soient les efforts de l’Éducation nationale ou des équipes en place » (p.48). En conséquence, « soucieuses de la réussite scolaire de leurs enfants, les familles sont prêtes à payer plus cher les logements situés à proximité des bons établissements » (p.50), de sorte que « la tendance est à l’accentuation de la ségrégation spatiale, découpage de l’espace principalement réalisé par les écarts de prix immobiliers » (p.51). En même temps, dans la mesure où la demande crée l’offre, on assiste à une explosion, à une extension et à une prolifération des marchés, à commencer par celui du soutien scolaire, qu’on retient ici comme un exemple assez prototypique pour renvoyer à la lecture du livre qui souhaite s’informer sur « l’ingéniosité de l’initiative privée » (p.92), sur le processus généralisé et mondialisé du processus de marchandisation qui affecte l’éducation et « exacerbe la compétition scolaire » (id.). Le marché du soutien scolaire, qui rapporte entre 1,5 milliard et 2 milliards d’euros par an (p.76), quoique le plus important de l’Union européenne, est toutefois considéré comme encore sous-exploité. Mais la logique inflationniste qui le sous-tend le promet à un bel avenir : si les enfants des autres bénéficient d’un soutien en terminale, il faut que le mien en dispose dès la seconde (p.78). Ainsi, de proche en proche, on finit, comme le groupe Methodia, par en proposer un dès le cours préparatoire, puis, comme les minischools à propos de l’apprentissage de l’anglais, dès la maternelle, ou encore tel aussi Scolorama : « comment l’aider à réussir sa maternelle ? » Au passage, le stress des parents devient de son côté la proie « d’un formidable marché » : sophrologie, homéopathie, acupuncture, hypnose thérapeutique… (p.80). À l’autre bout de la chaîne, la préparation des concours, une mine pour le privé. Puis, parmi les ressources d’Internet, surgit, en 2009, la possibilité d’acheter en ligne des devoirs tout faits, des sujets traités, etc. « Ces sites envoient un signal détestable aux élèves et aux étudiants : tout s’achète, tricher n’est pas un problème… » (p.92). En bref, l’éducation, une industrie mondialisée. Les groupes financiers investissent à tour de bras. De nombreux fonds d’investissements anglo-saxons arrivent sur le marché français riches d’une grande expérience et d’un capital respectable (p.179)…
On l’a dit, cet ouvrage apporte nombre d’informations, aligne des faits, rend compte du rôle exorbitant de l’argent. Mais, à quoi sert le « tableau ainsi complété » ? Quoi en faire ? Comment Arnaud Parienty se situe-t-il ou se positionne-t-il face au phénomène qu’il exhibe ? Car, livre fermé, on reste tout de même sur sa faim. Considérer que l’école publique a l’obligeance de se dégrader elle-même pour faire le lit du privé, que le service public d’éducation rend de lui-même les armes à la voracité des marchés, n’est-ce pas faire la part un peu belle au Saint-Esprit ? Est-il vrai que « l’argent public se raréfie » ? Ne serait-il pas plus juste de dire que le volume des budgets alloués à tel ou tel chapitre relève d’une décision politique qui choisit ses priorités ? Or le lien entre la pénurie des moyens et l’affaiblissement de l’école, qu’on peut discuter à l’infini, n’est pas nouveau si l’on songe à l’affairisme de l’ERT (European Round Table), la Table ronde européenne des Industriels, mémoire lointaine de la légende arthurienne. À son instigation, la Commission européenne publie le 26 mai 1994 le rapport d’un « groupe de hautes personnalités », avec, parmi elles, des membres de l’ERT, qui, pour favoriser le marché, préconise la destruction de l’enseignement public et gratuit et la multiplication des pressions sur les gouvernements pour les amener à réduire les budgets d’enseignement et appauvrir l’enseignement aux fins de faire se tourner vers l’enseignement privé une grande partie des étudiants. (Source : Tableau noir Résister à la privatisation de l’enseignement, Gérard de Sélys & Nico Hirtt, Éditions EPO, 1998). Les auteurs disent n’importe quoi ? Alors qu’on lise l’article de Christian Morrisson dans Cahier de politique économique (n°13, Centre de développement de l’OCDE, 1996, notamment p.30). Il explique comment affaiblir le service public sans faire descendre les gens dans la rue, faisabilité politique oblige… S’il est vrai, comme le dit Parienty, que la demande stimule l’offre, il est non moins vrai qu’une demande peut se créer de toute pièce. Voir sur ce point, dans Sélys & Hirtt les développements relatifs à l’industrie numérique. Marchandisation, tout s’achète. Parienty le dit lui-même, à propos des sites du style faismesdevoirs.com, on le cite à nouveau, « tout s’achète, tricher n’est pas un problème… » Et p.189 on peut lire : « À en croire un slogan entendu en France, mais aussi au Chili ou au Québec, « l’éducation n’est pas une marchandise ». En fait, si. Il y a une demande (plus ou moins) solvable, une offre payante, un marché assez organisé, un financement, des entrepreneurs, des stratégies commerciales, des marques, une évaluation des produits, des magazines pour aider le consommateur dans ses choix, etc. […] Assez bizarrement, les inquiétudes à ce sujet se sont souvent manifestées en France à l’égard des accords commerciaux internationaux, comme si la menace de marchandisation venait de l’extérieur, assiéger un système français public et gratuit. Clairement, nous n’en sommes plus là ». Vertu du fait accompli. On se demande alors à qui s’adressent les vertueuses indignations morales dont le propos est parsemé. La marchandisation de toutes les dimensions de l’activité humaine reste tout de même une grande prouesse de simonie néolibérale et la Commission européenne ne saurait prétendre le contraire, elle qui, en 1990, déclarait que « l’enseignement doit devenir une marchandise comme les autres ». Nul étonnement, donc, qu’elle puisse qualifier les étudiants de « clients » – Arnaud Parienty dit « usagers » – et les cours de « produits ». Mais cela est fort bien et l’auteur, après avoir montré le rôle joué par la mondialisation, y insiste : « Il ne s’agit pas de brandir le grand Satan de la marchandisation de l’école, livrée aux multinationales de l’éducation. Le cœur du système éducatif de la France demeure public et gratuit » (p.235). Bien ! Surtout si l’on oublie le conseil donné par Jean Monnet, à savoir réformer par petites touches invisibles (faisabilité politique) et dont l’accumulation rendrait le processus irréversible. On ne peut prétendre ici à l’exhaustivité, ni dans le compte rendu de l’ouvrage ni dans l’examen de tous les points qui mériteraient discussion. Mais la parole, pour conclure, revient à l’auteur : « Une offre privée diverse et efficace a explosé ces dernières années, en réponse à la dégradation du service public à court d’argent et à une demande sociale très forte, nourrie par la volonté désespérée des parents de faire entrer leurs enfants dans l’ascenseur social ou, au moins, de leur éviter le chômage » (p.235). Tout est donc au mieux dans le meilleur des mondes.
Jacques Thullier, Inspecteur de l’Éducation nationale, Ex-IUFM de Nantes
Article tiré du site : https://recherches-en-education.net
Rubrique: Recensions