L’école, le désir et la loi - Raymond Bénévent & Claude Mouchet

18 juin 2015

Juin 2015

Recension de Jean-Marc Lamarre

L’école, le désir et la loi. Fernand Oury et la pédagogie institutionnelle. Histoire, concepts, pratiques - Raymond Bénévent & Claude Mouchet

Champ social éditions, Collection "Matrice", 2014, 504 p.

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Fernand Oury (1920-1998) est un des plus grands pédagogues du XXe siècle. Instituteur et « artisan pédagogue » (comme il aimait à dire, cf. p.338), il a été à la fois un praticien et un théori-cien. A la différence de Freinet qui se méfiait des intellectuels, Fernand Oury, frère du psychiatre et psychanalyste Jean Oury (décédé le 15 mai 2014), a été en contact avec de grands penseurs français de son temps, en particulier Lacan (qui fut son analyste), Dolto, Guattari, Deligny. Criti-quant aussi bien l’école-caserne que l’école-nuage, il a fondé la pédagogie sur la notion d’institution, en pensant celle-ci à partir essentiel-lement des concepts de la psychothérapie institu-tionnelle. Il se pourrait bien que l’idée d’institution et de praxis institutionnelle soit une idée d’avenir, non seulement pour la pédagogie, mais aussi pour les pratiques sociales et politiques, autre-ment dit pour l’émancipation humaine. La péda-gogie institutionnelle (la PI) n’appartient pas au passé, elle est bien vivante, elle est une pédago-gie pour l’école d’aujourd’hui : le livre de Ray-mond Bénévent et Claude Mouchet L’école, le désir et la loi en fait la démonstration.

Cet ouvrage de près de cinq cents pages, paru dans la collection Matrice de Jacques Pain (qui a réédité les classiques de la pédagogie institutionnelle publiés pour la première fois par François Maspero dans la fameuse « Série pédagogique » dirigée par Fernand Oury, Aïda Vasquez et Émile Copfermann) est, à ce jour, le travail le plus complet et le plus approfondi sur le parcours de Fernand Oury et sur l’histoire, les concepts et les pratiques de la pédagogie institutionnelle d’orientation psychanalytique. Ce livre est à la fois scientifique et engagé – un engagement qui ne nuit pas à la scientificité du travail. Pour faire l’histoire de la pédagogie institutionnelle d’Oury, outre les œuvres mêmes d’Oury (écrites en collaboration avec d’autres), les auteurs se sont appuyés notamment sur les ouvrages déjà consacrés à cette pédagogie, sur les livres de Raymond Fonvieille (qui fut l’autre grand acteur de la rupture du groupe parisien de l’ICEM avec Freinet), sur des inédits d’Oury (cf. par exemple, p.164, 172, 422), sur les revues pédagogiques (en parti-culier L’Éducateur – la revue de l’ICEM, L’Éducateur d’Île-de-France – la revue de l’Institut Parisien de l’École Moderne (IPEM), Éducation et techniques – la revue du, Groupe Techniques Éducatives (GTE), nom du groupe parisien après son exclusion de l’ICEM), sur les archives de Jean Oury et sur des entretiens avec Jean Oury, Joëlle Oury (la fille de Fernand) et des acteurs de la pédagogie institutionnelle (Catherine Pochet, etc.).

Ils confrontent ces différentes sources entre elles, en particulier les textes parus dans les re-vues de l’ICEM avec leur reprise dans les livres d’Oury (cf. p.72-74). En ce qui concerne les rup-tures entre Oury et Freinet puis entre Oury et Fonvieille, les auteurs prennent parti pour Oury, mais ils s’efforcent d’établir les faits avec objectivité ; sur l’histoire du GTE, ils examinent de façon critique la version donnée par Fonvieille dans Naissance de la pédagogie autogestionnaire.

L’école, le désir et la loi s’ouvre sur une con-versation entre Jean Oury et Lucien Martin qui pose des jalons : les moments importants dans le parcours de Fernand (Hispano-Suiza, Saint-Alban, l’IMP d’Herbault, etc.), les rencontres décisives (Raymond Petit, militant trotskyste à l’usine Hispano-Suiza ; Félix Guattari, élève dans la classe d’Oury quand celui-ci débute comme rem-plaçant dans un lycée professionnel ; Tosquelles, Freinet bien sûr, Vasquez, Pochet, etc.) ; il se termine par un ensemble de documents photo-graphiques, les dernières photos – un stage PI en 2012 – attestant de l’actualité de la pédagogie institutionnelle. Les deux premières parties de l’ouvrage sont consacrées à la biographie intellec-tuelle d’Oury et à la genèse de la pédagogie insti-tutionnelle, la dernière partie expose les concepts et les pratiques de cette pédagogie, en particulier le système des institutions.

Bénévent et Mouchet commencent par retracer les années de formation d’Oury. Notons d’abord l’importance de l’environnement culturel et poli-tique lié à l’usine Hispano-Suiza de Bois-Colombes : « des sympathies trotskystes sans affiliation » (p.32), l’engagement dans le mouve-ment des Auberges de Jeunesse, les « caravanes ouvrières » – fréquentées aussi par Guattari (cf. l’hommage de celui-ci à Raymond Petit : Ray-mond Petit et le groupe Hispano, dans Felix Guat-tari, Psychanalyse et transversalité, Maspero, 1972). Nous connaissions déjà les débuts d’Oury dans le métier d’instituteur par le récit autobiogra-phique « Mémoires d’un âne » (De la classe coo-pérative à la pédagogie institutionnelle, p.49-75). Les auteurs s’appliquent à démêler dans ce récit ce qui correspond à l’expérience d’alors et ce qui relève de la reconstruction après-coup. Selon eux, Oury a terminé son apprentissage du métier plus tôt qu’il ne le dit lui-même et « il est en pleine possession des moyens que les techniques Frei-net lui ont permis de découvrir dès 1953 [date de la lettre à Freinet] » (p.37). Un des apports du tra-vail de Bénévent et Mouchet est de montrer qu’Oury est très tôt – c’est-à-dire avant la rupture avec Freinet et même pour une bonne part avant sa rencontre avec lui – en possession des élé-ments principaux de sa pédagogie. Lorsqu’en 1949, il rencontre Freinet, Oury est déjà un péda-gogue novateur et c’est dès la période qui va de 1954 (Herbault) à 1958 qu’il met en relation la pé-dagogie avec la psychanalyse grâce en particulier à l’apport fondamental de Jean Oury et de la psy-chothérapie institutionnelle. Alors qu’il n’avait pas encore entendu parler de Freinet (« En 1945, dans ma classe, on avait fait un journal. J’avais réinventé. Jamais entendu parler de Freinet. », dit-il dans un entretien avec Martin paru dans la livraison de novembre-décembre 1982 de la revue Esprit), Oury expérimente (mais sans théoriser) en juillet 1940 à l’Île-Saint-Denis, commune située près de Saint-Denis où il fait ses premières expé-riences pédagogiques, une organisation du travail basée sur une loi de la classe et un « conseil des responsables » (réunion du maître avec les élèves responsables de la classe). En juillet 1946, il visite l’internat de La Bastide à Beau-Soucy (Essonne) ; il y prend connaissance d’une organisation complexe avec des rôles différents et il y voit une imprimerie qui est utilisée dans un but éducatif et une monnaie intérieure qui sert une fois dans l’année lors d’une foire. N’arrivant pas à importer dans sa classe une part de ce qu’il a vu fonction-ner à Beau-Soucy (« Trente heures par semaine je fais taire et obéir […] », écrira-t-il dans De la classe coopérative…, p.72), il cherche alors, dans une sorte de fuite, à réaliser hors de l’école ce qu’il n’arrive pas à réaliser dans l’école. Oury tra-verse, entre octobre 1947 et juillet 1949, une crise à la fois personnelle et professionnelle, et il se retrouve devant le dilemme : ou changer de métier ou changer le métier (cf. p.53). C’est dans ce con-texte qu’il rencontre Freinet, à Cannes, en 1949, lors d’un stage d’été. Le même été, il invente, à Groix, en colonie de vacances, le conseil (cette fois avec tous les enfants) ; il l’expérimente à la fois en classe (dans son CE2 de La Garenne puis dans sa classe de perfectionnement à Nanterre) et en colonie de vacances (notamment à l’IMP d’Herbault). De 1949 à 1954, Oury introduit dans sa classe les techniques Freinet et, dans le même temps, il impose dans L’Éducateur le thème de l’école urbaine (l’école-caserne). En 1955, après un stage au Centre de Beaumont, il prend en charge, et ce jusqu’en 1963, une classe de per-fectionnement à Nanterre ; après quoi il devient, jusqu’à la fin de sa carrière, formateur d’ensei-gnants spécialisés. Jean Houssaye avait déjà souligné l’importance des expériences d’Oury dans les co-lonies de vacances (cf. J. Houssaye, « À l’origine de la pédagogie institutionnelle : les colonies de vacances », dans Martin, Meirieu et Pain (dir.), La pédagogie institutionnelle de Fernand Oury, Ma-trice, 2009). Bénévent et Mouchet montrent, en s’appuyant sur des écrits d’Oury en 1954 (ar-chives Jean Oury), que l’expérience d’Herbault (1952-1955) a été décisive : Oury commence à nouer dans sa pratique et sa pensée la pédago-gie, la psychothérapie institutionnelle et la psy-chanalyse. En septembre 1947, Jean Oury arrive à l’hôpital de Saint-Alban, en Lozère, comme interne auprès du psychiatre catalan Tosquelles (ancien militant du POUM, condamné à mort par Franco) ; en décembre 1948, il y accueille son frère qui est gravement dépressif. La psychanalyse entre alors dans la vie personnelle (décision de commencer une analyse avec Lacan) et professionnelle de Fernand Oury. Celui-ci, à Saint-Alban, découvre, outre une presse Freinet, des collectifs soignants influencés par la psychanalyse et un travail d’« aseptie de l’ambiance » (selon l’expression de Tosquelles et de Jean Oury) qui deviendra la psychothérapie institutionnelle (ce nom sera proposé par les psychiatres Daumézon et Koechlin en 1952, cf. p.122). « Dès lors, dans le sillage de son frère Jean, […] Fernand ne cessera plus de fréquenter ces lieux [en particulier la clinique de La Borde à Cour-Cheverny], tentant de ménager des ponts entre ces deux modèles de structuration de la praxis qui s’ouvraient à lui si-multanément : la pédagogie Freinet d’une part ; la pratique des soins psychiques en institution, sou-tenue par les concepts de la psychanalyse, d’autre part », écrivent les auteurs (p.107). En juin 1952, Jean Oury commence à travailler à Herbault (Loir-et-Cher), un établissement pour enfants et adolescents débiles légers ou moyens ; il y fait venir Fernand pour encadrer la colonie de vacances de l’IMP durant l’été 1953 (l’expérience sera renouvelée en 1954 et 1955). Oury met en place la Charte des droits et des devoirs, le Nylon (du nom de ce textile solide et facilement la-vable !), assemblée hebdomadaire de la collectivi-té, le Permis de circuler, institution créée par Oury dès 1951 à la colonie de La Bassine (Tarn) et qui est une première mouture du système des cein-tures dans la pédagogie institutionnelle, les TOG, travail obligatoire gratuit, à la fois services et sanctions (sur cette confusion, cf. p.110). À Her-bault, ce ne sont pas les techniques Freinet qui prédominent, mais des dispositifs démocratiques articulant loi et liberté dans la perspective d’un devenir-sujet des enfants. « L’obéissance à la loi collective, écrit Oury en 1954 à Herbault, devient non une humiliation (la preuve d’une abdication), mais un honneur (la preuve d’une possibilité de choix : ce sont les hommes qui obéissent aux lois acceptées, non les chiens. […]). Le but des en-fants et du moniteur devient commun : rendre le plus possible d’enfants libres et responsables. Faire des hommes avec des enfants. Ça s’appelle l’éducation. » (p.109-110). Ce texte semble d’inspiration rousseauiste (Oury aurait-il lu, à cette époque, l’Émile ?), mais les auteurs y voient sur-tout une influence de la psychanalyse. « L’essentiel de la révolution, de nature finalement éthique, tentée par Fernand Oury est peut-être là : non pas induire pour elle-même une mutation des comportements, mais attendre cette mutation d’un remaniement de la motion désirante elle-même […] » (p.113).

Bénévent et Mouchet analysent avec finesse l’évolution d’Oury dans sa prise de conscience de ce qui est humanisant et thérapeutique dans « la classe moderne ». Ils pointent le rôle décisif de Jean Oury dans les années 1957-1958. Fernand Oury constate que sa classe est thérapeutique, mais, en bon militant de l’ICEM, il attribue cet effet uniquement aux techniques Freinet et au rapport de l’enfant au maître, alors même que, depuis l’expérience d’Herbault, il est déjà attentif à la dynamique intrapsychique de l’enfant et aux relations entre enfants. Dans son intervention lors de la réunion organisée en septembre 1957 par l’IPEM sur le caractère thérapeutique de « la classe moderne », Jean Oury déclare que les techniques Freinet sont importantes par les échanges qu’elles rendent possibles : « le plus important dans la technique Freinet, c’est peut-être la modification radicale du milieu qu’elle per-met. […] Qu’est-ce qui me semble surtout théra-peutique ? Le volume des échanges joue à mon sens un rôle prépondérant » (cité p.121). Ce qui est thérapeutique, ce sont les dynamiques rela-tionnelles entre enfants – ce que Jean puis Fer-nand Oury éclairciront par les notions psychanaly-tiques de transfert et d’identification. Les techniques Freinet ne sont, selon les expressions des auteurs (p.122), que « la cause occasion-nelle » de l’effet thérapeutique et « la cause réelle » en est la qualité relationnelle du milieu : ce qui interdit toute fétichisation des techniques Freinet. Fernarnd Oury en vient à subordonner le concept d’activité à celui d’échange. « Cette classe où l’échange constitue la base de la péda-gogie, écrit-il en 1958, doit être très désalié-nante. » (cité p.128) Les auteurs soulignent le dé-placement qu’opère Oury grâce à son frère Jean. Ils écrivent : « Les techniques Freinet, toujours nécessaires, ne le sont plus parce qu’elles sont actives ; ni parce qu’elles induisent seulement l’expression du sujet, mais parce que les échanges qu’elles supportent et qui les supportent tissent un « milieu » humain et social qui est le véritable vecteur, moyennant les dynamiques transférentielles, de leur effet thérapeutique. » (p.128-129). Approfondissant la question du pouvoir désaliénant et thérapeutique de « la classe moderne », Oury repère que c’est le conseil de coopérative (qu’il nomme pour la première fois institution) qui a un effet humanisant et thérapeutique : « en substituant à l’action de l’adulte celle du groupe d’enfants, la coopérative thérapeutique permet d’influer sur les sujets chez qui la relation enfant adulte est perturbée [souligné dans le texte]. Cette catégorie d’enfants demande chez l’éducateur des qualités de psychothérapeute qu’on ne peut demander à un instituteur. […] Peut-être le mot instituteur va-t-il changer de sens ? Chargé d’instituer les enfants, c’est-à-dire de les adapter par l’endoctrinement ou le conditionnement à un type d’institution prévu par la société, peut-être l’instituteur va-t-il devenir essentiellement créateur d’institutions ? » écrit Oury en septembre 1958 dans la brochure de l’IPEM Action psychologique de la coopérative dans la classe moderne (cité p.132 et 134). Oury vient de découvrir l’essentiel de ce qui va devenir la pédagogie institutionnelle : ce ne sont ni les techniques Freinet proprement dites, ni le milieu, mais les institutions, et en premier lieu le conseil, qui ont une action humanisante et thérapeutique. L’année 1958 est donc, comme l’établissent les auteurs, l’année décisive dans la constitution de la pédagogie institutionnelle. Oury repense la coopérative et le conseil en allant au-delà de ce que Freinet lui-même en a dit ; certes il met en œuvre les techniques Freinet, mais celles-ci, dès 1958, n’ont plus dans la pédagogie institutionnelle une position architectonique. La séparation d’avec Freinet devient inévitable. Cette rupture a des raisons pédagogiques (le problème de l’école de banlieue méconnu par la majorité rurale de l’ICEM, celui de la présence de l’inconscient dans la classe) et des raisons organisationnelles (l’absence de démocratie dans l’ICEM, le refus de Freinet de lui donner des statuts). Mais les « parisiens » se font des illusions sur l’état de leurs relations avec Freinet, ils dénient la profondeur des divergences, ils croient en la possibilité d’une discussion sérieuse. Oury et Fonvieille sont exclus du mouvement Freinet au congrès de Saint-Étienne des 25-30 mars 1961. Le GTE se constitue en mai 1961, animé par Oury et Fonvieille (qui en devient le président). Instituteur à Gennevilliers, Fonvieille (1923-2000) a suivi une classe, à partir de la rentrée 1955, du CP au CM2, puis il prend en charge une classe de fin d’études. Le GTE s’ouvre dès le début à des non-instituteurs. Fonvieille reprochera à Oury d’avoir, avec son frère, imposé dans le GTE une orientation psychothérapeutique ; cependant, se-lon les auteurs, nombre de ces critiques n’ont pas été faites en 1961, mais datent seulement du moment de la rédaction de Naissance d’une pé-dagogie autogestionnaire, à savoir 1989. En lien avec des universitaires (Lapassade, Lobrot et Loureau), Fonvieille constitue en 1965, avec Bes-sière (un jeune instituteur de l’école de Gennevil-liers) et Lobrot, le Groupe de Pédagogie Institu-tionnelle (GPI) qui met en relation le pédagogique avec le politique à travers l’idée d’autogestion. En 1966, le GTE se dissout. Bénévent et Mouchet retracent, dans la deuxième partie du livre, l’histoire du GTE qui échoue à se constituer en un mouvement pédagogique démocratique. En fé-vrier 1962 se tient à Montry (Seine-et-Marne) un colloque du GTE auquel participent Jean Oury, « acteur dominant de ce colloque » (p.190) et Guattari. Le document pédagogique qui en est issu défend une pédagogie du groupe qui prend appui, non seulement sur la psychanalyse, mais aussi sur la théorie sartrienne des groupes dans la Critique de la raison dialectique et le structuralisme de Lévi-Strauss. Dans une conférence prononcée le 15 novembre 1962 et intitulée Quelques problèmes de groupes en pratique psychiatrique et pédagogique (ce texte, publié en décembre 1962 dans Éducation et techniques, sera republié en 1971 par Émile Copfermann, dans la Petite Collection Maspero, dans le livre Pédagogie : éducation ou mise en condition ?), Jean Oury développe les concepts de transferts latéraux, de rapports duels et de rapports triangulaires, con-cepts qui seront repris par Fernand. « Un chan-gement dans le champ du collectif de la classe, dit Jean Oury, peut entraîner un remaniement "intrasubjectif" fondamental pour l’avenir d’un enfant. […] Il faudrait ouvrir un chapitre où nous traiterions de la notion de transfert dans le groupe avec tous les corollaires qu’on peut y trouver, depuis la dynamique des transferts latéraux jusqu’aux jeux des rapports complémentaires, des rapports duels aux rapports triangulaires […] » (cité p.200-201). Dans ce texte, Jean Oury ne dit pas aux enseignants, du haut de sa science psychiatrique et psychanalytique, ce qu’ils doivent faire, mais il expose, comme disent les auteurs, le « soubassement métapsychologique de l’activité pédagogique des maîtres des classes nouvelles » (p.202). À partir de 1963, les rapports avec Georges Lapassade vont accentuer les divisions à l’intérieur du GTE. Oury avait proposé à l’universitaire de faire une conférence mais celui-ci ne voulait pas se contenter de discourir, il vou-lait intervenir en psychosociologue critique des institutions. Georges Lapassade, dans ces an-nées-là, défend une sociologie d’intervention, une sociologie en acte à visée subversive qui provient de la psychosociologie des petits groupes (cf. la dynamique de groupe de Kurt Lewin). L’analyse institutionnelle, telle que la conçoit Lapassade, cherche à mettre à jour, dans les groupes, ce qui est caché ou refoulé par la routinisation et bu-reaucratisation du groupe, pour permettre aux ac-teurs de s’interroger sur leur rôle et de se réap-proprier le groupe. Lapassade fait parvenir au GTE un texte sur la « formation des éducateurs » intitulé Problèmes de pédagogie institutionnelle (cf. p.211). Oury critique vivement l’utilisation par Lapassade de l’appellation de « pédagogie institutionnelle ». L’expression aurait été inventée par Jean Oury qui l’aurait utilisée pour la première fois lors du congrès de l’ICEM de 1958, mais elle ne figure pas dans le résumé que Fernand a fait de l’intervention de son frère. C’est dans l’article de Jean Oury de 1962 (Quelques problèmes de groupes en pratique psychiatrique et pédagogique) que l’expression de « pédagogie institutionnelle » apparaît pour la première fois dans un écrit : « j’avais proposé, il y a quelques années, le terme de "pédagogie institutionnelle", à ce courant de transformation du travail à l’intérieur de classes, pensant que ce n’est pas hasard si ces grandes architectures – hôpital et école – posent simultanément des problèmes analogues » écrit Jean Oury. En outre, Fernand Oury, reproche à Lapassade de ne pas prendre en compte la condition réelle de l’instituteur, une condition de « subalterne sans pouvoir » (cité p.218) et de croire que l’analyse institutionnelle pourrait suffire pour transformer cette situation. L’école-caserne ne laisse, selon Oury, aucune liberté à l’enseignant dans l’école ; celui-ci ne peut prendre des initiatives que dans sa classe, des initiatives mal acceptées par l’école (cf. dans Vers une pédagogie institutionnelle, p.104-108, la distinction entre les éléments – sur lesquels le pédagogue peut agir –, et les données – qui marquent une limite à son action). En fin de compte, Lapassade, selon les auteurs, a activement contribué à rendre irréversible l’opposition entre les deux courants du GTE. Fonvieille et Bessière vont trouver chez les « institutionnalistes lapassadiens » (Lapassade, Lobrot et Loureau) de quoi opposer aux frères Oury une pédagogie institutionnelle autogestionnaire. Mais selon Bénévent et Mouchet, Lapassade « laissait de côté les différences fondamentales existant entre des enfants, adolescents et jeunes adultes dans leur rapport à leurs enseignants et celui qu’entretiennent des formateurs et leurs collègues [en italique dans le texte] […]. Il laissait accroire également que les élèves et leurs enseignants ont le même pouvoir de décision sur l’organisation de l’école, du lycée, de l’université que les ensei-gnants travaillant ensemble sur la base du volon-tariat dans un mouvement pédagogique » (p.215).

L’arrivée de la psychologue vénézuélienne Aïda Vasquez dans le GTE en 1962 va contreba-lancer l’influence de Lapassade. La collaboration entre elle et Oury donne un nouvel essor au travail de création de la pédagogie institutionnelle. Engagée dans une thèse sur « l’étude des rela-tions humaines dans la classe » (cf. p.247), Vas-quez observe ce qui se passe dans les classes de membres du GTE qui l’accueillent ; elle constate que, comme elle l’écrit dans un article d’octobre 1964, « les effets thérapeutiques se situent toujours dans le cadre des activités scolaires. Le rôle du maître ne peut alors être assimilé purement et simplement à celui du thérapeute » (cité p.253 ; voir aussi p.258-261 l’intervention de Guattari lors de la conférence du GTE du 3 décembre 1964). Oury et Vasquez fondent, en 1963, au sein du GTE, le Groupe d’Education Thérapeutique (GET) pour travailler à partir de monographies d’enfants. « Ainsi en moins de deux ans et demi […], écrivent Bénévent et Mouchet, la jeune femme qu’était Aïda Vasquez s’était révélée comme un complément indispensable à l’action de l’instituteur de Nanterre ; elle avait su lui insuffler l’énergie et la confiance nécessaires pour passer, après l’épisode du GTE, des articles de revues plus ou moins confidentielles à l’édition dans une grande maison d’édition parisienne. Seront ainsi produits deux ouvrages, en 1967 et en 1971 (Vers une pédagogie institutionnelle et De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle) qui al-laient compter parmi les succès de la littérature pédagogique française de cette seconde moitié du XXe siècle, où le duo Vasquez-Oury est indis-solublement lié. » (p.254-255). Après la dissolu-tion du GTE, Oury renonce à construire un mou-vement pédagogique d’envergure nationale. Tout en participant activement aux différentes struc-tures qui se forment (les collectifs locaux des Champignons GETs, le Collectif des Équipes de Pédagogie Institutionnelle, Genèse de la coopéra-tive avec des membres de l’ICEM, l’Association vers la Pédagogie Institutionnelle), il se consacre principalement à la rédaction d’ouvrages avec successivement Aïda Vasquez, Jacques Pain, Catherine Pochet, Françoise Thébaudin. Il devient ainsi, pour tous ceux qui s’engagent dans la pé-dagogie institutionnelle d’orientation psychanaly-tique, le référent théorique. Après avoir rencontré en 1973 Michel Amram et Fabienne d’Ortoli, il parraine, avec Françoise Dolto, l’école de La Neuville, ce qui lui offre l’occasion de concrétiser son rêve d’une école expérimentale à visée péda-gogique et thérapeutique. Fernand Oury décède, à la clinique de La Borde, chez son frère, le 19 février 1998.

La troisième partie de L’école, le désir et la loi porte sur les concepts et les pratiques de la pé-dagogie institutionnelle : l’analyse institutionnelle de l’école-caserne, l’apport de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, l’édifice des institutions, les effets de l’institutionnalisation de la classe. Chronique de l’école-caserne paraît en 1972. Oury (en collaboration avec Jacques Pain) y définit l’école-caserne par son gigantisme archi-tectural, par la prédominance de la relation hiérar-chique et par l’humiliation qui en résulte : l’école-caserne prépare les enfants du peuple à la sou-mission et au travail docile à l’usine et au bureau. Cependant, Oury ne critique l’école-caserne qu’après avoir montré, dans les deux livres écrits avec Aïda Vasquez, que d’autres pratiques péda-gogiques existent dans des classes urbaines de l’école publique. « Nous avons signalé des possi-bilités actuelles avant de dénoncer le fait école-caserne » écrit-il dans Chronique de l’école-caserne (cité p.300). Oury occupe une position singulière dans les années post-soixante-huit ; il s’oppose aussi bien aux défenseurs de l’école républicaine qui contestent que l’école publique ait un rôle de reproduction des inégalités sociales qu’aux militants révolutionnaires pour lesquels aucune action de transformation de l’école n’est possible dans une société capitaliste. Il affirme l’existence à la fois de « déterminismes sociaux s’exerçant sur l’école et [d’une] autonomie relative des acteurs sociaux. » (cité p.310). Autre particu-larité de la position d’Oury dans ces années-là : loin de préconiser une pure et simple destruction de l’école-caserne qui ouvrirait sur une liberté laissée à elle-même, Oury dénonce violemment « l’école libérée […] l’école-nuage, sans limite, sans lieu, sans loi » (Esprit, novembre-décembre 1982, cité p.326) et il s’en prend – avec une cer-taine injustice, selon nous – aux pédagogues li-bertaires et autogestionnaires (cf. dans la qua-trième de couverture, la phrase suivante (de l’éditeur ?) : « les pédagogues "libertaires" […] qui laissent la "liberté ensauvagée" à sa propre pente autodestructrice » ; mais, nous semble-t-il, et quelles que soient les critiques qu’on peut leur adresser par ailleurs, l’école de Summerhill et les classes de pédagogie institutionnelle autogestion-naires – celle de Raymond Fonvieille, par exemple – ne sont ni des déserts ni des jungles…). En fait, à travers cette critique d’une école ensauvagée, il est signifié « en creux », comme disent les auteurs, que « la libération par rapport à l’école-caserne ne vaut que si la liberté ainsi conquise se voit proposer […] un processus concomitant d’autoélaboration. C’est en cet endroit exact que s’est situé, dans la construction de la pédagogie institutionnelle, le double impact de la psychanalyse et de la psychothérapie institu-tionnelle. » (p.327) La pédagogie institutionnelle noue entre eux les trois champs constitutifs d’un milieu réellement éducatif : le champ matérialiste des techniques, le champ sociologique des institutions et phénomènes de groupe et le champ psychanalytique de la présence de l’inconscient dans la classe. Les auteurs exposent, sobrement et clairement (sans jargon lacanien et en se référant à l’ouvrage classique : le « Laplanche et Pontalis »), les concepts psychanalytiques dont font usage les théoriciens et praticiens de la pédagogie institutionnelle (inconscient, libido, pulsion, désir, Œdipe, castration, Loi, transfert, identification, sublimation) ; ils les présentent à la fois dans leur signification proprement psychanalytique et dans leurs « résonances pédagogiques » (p.329). Il ne s’agit pas, pour Oury, de vouloir que les enseignants deviennent des « maîtres-psychanalystes », mais d’éclaircir par la psychanalyse ce qui se passe dans une classe institutionnalisée. Les concepts de désir et de Loi sont les deux apports majeurs de la psychanalyse à la pédagogie institutionnelle. « Il nous arrive de résumer notre point de vue : "une pédagogie basée sur le Désir". Désir profond des participants d’être là, d’être à leur affaire, à leur travail. Ce qui permet aux élèves et aux maîtres d’être en classe autrement que comme des figurants obligatoires suppose des investis-sements libidinaux et leur sublimation dans le tra-vail et le langage grâce à des institutions adé-quates. » (De la classe coopérative …, cité p.334 et 359). La Loi n’est pas ce qui fait obstacle au désir, elle en est au contraire l’opérateur, en obli-geant l’enfant à renoncer à la toute-puissance du pulsionnel et à découvrir ses propres désirs (cf. p. 338-339). Dans la pédagogie institutionnelle, où il s’agit de la classe et non de l’individu en tant que tel, l’apport de la psychanalyse passe aussi par la psychothérapie institutionnelle. La psychanalyse ne peut aider à comprendre la classe qu’à la condition d’« une reformulation des notions en termes de groupe » et « de penser la psychothérapie en institution ». (Vers une pédagogie institutionnelle, cité p.331). Un des apports importants de L’école, le désir et la loi est d’établir avec rigueur que les « thèses, concepts ou outils majeurs de la pédagogie institutionnelle […] plongent leurs racines dans la psychothérapie du même nom » (p.480). La psychothérapie institutionnelle apparaît pendant la Seconde Guerre mondiale quand les psychiatres Tosquelles et Bonnafé prennent conscience que les institutions de soins, telles qu’elles fonctionnent, sont pathogènes et qu’il faut d’abord soigner l’institution elle-même. La psychothérapie institutionnelle marche, selon l’expression de Tosquelles et Jean Oury, sur deux jambes, la jambe freudienne (la clinique des psychoses) et la jambe marxiste (la critique sociale des institutions) ; l’aliénation en effet est double, aliénation psychique et aliénation sociale, et l’une ne doit pas être rabattue sur l’autre (cf. p.348). Tosquelles distingue aussi (distinction fondamentale) entre établissement et institution. Un établissement est pourvu d’une administration, d’un règlement intérieur, de fonctions officielles (soigner, instruire, etc.), de statuts (le statut est la place officielle occupée par un individu, cf. p.350 : la distinction entre fonction, statut et rôle). L’institution, quant à elle, est un lieu d’échanges. Tosquelles donne l’exemple de la famille. Il y a des familles qui sont en fait des établissements (« à chacun son rôle fonctionnel ») et « il n’est pas dès lors surprenant que dans ces familles il n’y ait pas d’échanges. Or la famille a vocation d’être une institution, un lieu d’échanges économiques, sexuels et culturels. Lorsque la famille devient un établissement, il n’est pas étonnant qu’elle "produise" des enfants qui présentent un certain nombre de troubles […] » (cité p.358). Une institution n’est donc réellement une institution que si elle favorise les échanges, que si elle est instituante d’échanges. D’où la dialectique de l’institué et de l’instituant, des « grands machins » et des « petites machines ». L’essentiel, ce n’est pas le nombre d’institutions instituées, mais le processus d’institutionnalisation qui les anime. « Il s’agit de désinstitutionnaliser-réinstitutionnaliser. Autrement dit, de créer des institutions dans l’institution, de construire des petites machines qui remettent en cause les grands machins », dit Oury en 1983 (cité p.373). L’ancrage de la pédagogie institutionnelle dans la psychothérapie institu-tionnelle n’est donc pas fortuit, il n’est pas dû au hasard biographique (le lien familial entre Fernand et Jean Oury) ni au fait que Fernand Oury a tra-vaillé dans une classe de perfectionnement – et l’erreur de Fonvieille a été de croire que la psy-chanalyse et la psychothérapie institutionnelle n’avaient d’intérêt que dans le travail avec les « cas pathologiques » et non pas avec les enfants « normaux » des classes ordinaires. Que ce soit à l’hôpital ou que ce soit à l’école, il s’agit en fin de compte, dans des contextes différents, de la même praxis institutionnelle. C’est le nouage du désir, de la Loi et de l’institution qui fait de la classe un milieu humanisant et thérapeutique, un milieu éthique, porteur des apprentissages sco-laires : tel est l’apport majeur de la psychothérapie institutionnelle à la pédagogie institutionnelle. Les institutions, en effet, sont des « pièges à désir », selon l’expression de Francis Imbert (cf. p.359) et des pièges pour l’inscription du désir dans la Loi, elles sont des tiers, opérateurs de médiatisation et de triangulation des relations. « C’est peut-être là la caractéristique de la pédagogie institutionnelle : tendre à remplacer l’action permanente et l’intervention du maître par un système d’activités, de médiations diverses, d’institutions qui assure d’une façon continue l’obligation et la réciprocité des échanges dans et hors du groupe », écrivent Vasquez et Oury (Vers une pédagogie institution-nelle, cité p.361). Bénévent et Mouchet ont donné comme titre à leur livre : L’école, le désir et la loi. En effet, écrivent-ils, « cette mise en rapport du désir et de la Loi […], dans la mesure où il con-tredit l’essence de toutes les pédagogies tradi-tionnelles – fondées sur l’inhibition et la répres-sion du désir par l’obligation – est la dimension fondamentale et révolutionnaire de la pédagogie institutionnelle » (p.370). Dans leur présentation de « l’édifice des institutions » (le conseil, le quoi de neuf ?, la monnaie intérieure, les lois de la classe, les ceintures, les métiers), les auteurs ne font pas simplement une description fonctionnelle des institutions, ils s’attachent à les penser, par-delà leur forme instituée, dans leur dynamique instituante. Les techniques Freinet, en tant qu’elles mettent les élèves en activité et qu’elles suscitent des échanges, sont le préalable du travail d’institutionnalisation. « Dans les lois de la classe, l’assignation au langage est tout simple-ment fondatrice » (p.379) et le « je ne me moque pas » qui, comme condition de la parole, est non négociable, « apparaît du coup comme lieu exact où les lois de classe affleurent la Loi symbolique elle-même » (p.380). Le conseil – œil, cerveau, rein, cœur du groupe-classe – selon les méta-phores de Vers une pédagogie institutionnelle est « l’institution instituante de toutes les autres insti-tutions » (p.364). Bénévent et Mouchet montrent, de façon nouvelle, que l’écriture occupe une place centrale dans le conseil et ils font l’hypothèse que celui-ci a une fonction de scribe et une fonction d’interprétant du groupe-classe (cf. p.472). On re-trouve cette importance primordiale de l’écriture dans la monographie, cette pratique essentielle de la pédagogie institutionnelle. « La monogra-phie d’écolier : vraisemblablement le seul langage possible en pédagogie », disait Lacan à Oury en 1972 (cité p.427).

L’école, le désir et la loi est désormais, nous semble-t-il, l’ouvrage de référence sur la pédago-gie institutionnelle de Ferdinand Oury. Nous pose-rons toutefois deux questions au sujet de cette pédagogie, d’une part celle de son lien avec les techniques Freinet, d’autre part celle de son rap-port avec les didactiques. La pédagogie institu-tionnelle, écrivent les auteurs, « entérine intégra-lement l’apport de la pédagogie Freinet, à la fois dans sa visée et dans ses outils » (p.480) ; mais Oury disait aussi en 1983 qu’« on peut remplacer le journal scolaire par des cerfs-volants ou un ate-lier de mécanique, à la limite par n’importe quoi » (cité p.372). La praxis institutionnelle s’appuie-t-elle nécessairement sur les techniques Freinet ou bien peut-elle s’adosser à toute technique suscep-tible de mettre les élèves en activité et de susciter des échanges ? La pédagogie institutionnelle crée, grâce aux institutions, un milieu éthique vec-teur du désir d’apprendre, mais Oury ne s’interroge guère sur les apprentissages eux-mêmes. La pédagogie institutionnelle est-elle in-différente aux didactiques ? Ou bien y a-t-il la possibilité d’un regard « institutionnel » sur les dispositifs d’apprentissage (par exemple sur les dispositifs de débat en sciences, en français, en éducation morale et civique) ?

La pédagogie institutionnelle de Ferdinand Ou-ry est vivante, comme en témoignent non seule-ment l’école de La Neuville, mais aussi des écoles publiques qui fonctionnent entièrement selon les concepts et pratiques de la pédagogie institution-nelle, par exemple l’école de Javrezac en Cha-rente et l’école polyvalente de la rue Pajol dans le 18e arrondissement de Paris (cf. sur ces deux établissements publics, Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck, « Institution, expérimentation, émancipation : autour de la pédagogie institution-nelle », dans Tracés, n°25, 2013). À l’école de La Neuville, « les élèves s’emparent d’une loi de ré-ciprocité des échanges, autre référence à F. Oury, écrivent François Jacquet-Francillon et Camille Suzanne Savio, dans « Notre visite du 28 mars 2013 à l’école de la Neuville » (Le Télémaque, n°44, 2013. […] Car ce qui nous a frappés, dans les réunions auxquelles nous avons assisté, c’est que toute personne y est à la fois, actuellement ou virtuellement, aidée et aidante, destinataire et destinatrice, questionnée et questionneuse, objet et sujet de la réflexion collective, etc. » Dans ce moment, où le ministère de l’Éducation nationale remet l’éducation morale au programme, il serait bon de relire Oury, car, comme le dit très juste-ment François Jacquet-Francillon, dans son article « La pédagogie institutionnelle comme éducation morale » (Le Télémaque, n°23, 2003), « malgré les apparences, les livres de Fernand Oury sont des ouvrages complets d’éducation morale en régime démocratique. » Enfin, il y a, nous semble-t-il, une actualité sociale et politique de l’idée d’institution et de praxis instituante, comme le montre le long chapitre intitulé « La praxis instituante » du récent livre de Pierre Dardot et Christian Laval, Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014). « Il faut accepter d’apprendre intellectuellement et politiquement d’un mouvement qui a d’emblée inscrit la question de la création de l’institution au cœur de sa réflexion et de sa pratique : la Psychothérapie insti-tutionnelle (« PI » par abréviation) » écrivent Dar-dot et Laval dans Commun (p.445). Redisons avec Fernand Oury : « peut-être [le professeur] va-t-il devenir essentiellement créateur d’ins-titutions ? »

Jean-Marc Lamarre - Maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation, Centre de Recherche en Education de Nantes

Article tiré du site : https://recherches-en-education.net
Rubrique:  Recensions