Recherches en Education

Vous êtes ici : Accueil » Recensions

Des professionnalités sous tension - JY. Bodergat & P. Buznic-Bourgeac

Octobre 2016

Recension de Richard Étienne

Des professionnalités sous tension. Quelles (re)constructions dans les métiers de l’humain ? - Jean-Yves Bodergat & Pablo Buznic-Bourgeac (dir.)

De Boeck, Collection « Perspectives en éducation & formation », 2015, 338 p.

- Télécharger la recension

- Lien vers l’ouvrage


Trois mots dominent aujourd’hui le vocabulaire de la formation : compétences, professionnalisation et ingénierie. Dans le domaine des idées reçues, ils s’articulent de la sorte : les premières sont à acquérir en vue d’atteindre le terme de la seconde et c’est à la troisième d’intervenir en amont pour organiser les parcours. Mais ce monde « idéal » n’existe que dans les représentations de certains prescripteurs, voire de quelques institutions. Jean-Yves Bodergat et Pablo Buznic-Bourgeacq ont réuni une équipe d’auteurs pour (re)prendre le problème de la formation et de l’exercice des métiers au niveau où il se pose : celui de ce qui est propre à une profession, la professionnalité. Comme une profession est, au sens étymologique, ce qui se discute, mais aussi ce qui se professe, voire ce qui se prédit, l’ouvrage qu’ils ont coordonné est consacré à étudier en quoi la tension qui caractérise les métiers de l’humain y favorise des reconstructions plus ou moins voulues par les institutions et par les professionnels eux-mêmes.

Logiquement, ils divisent l’étude en trois parties : la première s’intéresse aux mutations qui entraînent cette nécessité de « repenser la professionnalité », la deuxième est consacrée aux professionnalités « réelles » dans quelques-uns de ces métiers et la troisième fait le tour de quelques-unes de ces professionnalités qui sont en « (re)construction ». Pour cette recension, il semble opportun de suivre cette progression.

Dans leur introduction, les deux coordonnateurs commencent par s’intéresser aux « métiers de l’humain » dont ils définissent provisoirement la spécificité en ces termes : « une activité, finalisée par l’autonomie du sujet auquel elle s’adresse, s’emploie à ce titre à susciter de sa part une réaction en première personne, ce qui conduit le professionnel à construire des situations inévitablement contingentes et à penser sous le signe de l’éthique l’engagement dans la relation à l’autre » (p.12).

Ce qui est nouveau est l’apparition d’une « offre-injonction » (p.13) qui a été baptisée du terme plus qu’ambigu de professionnalisation, à entendre comme une prescription adressée à toute personne voulant entrer dans la carrière. Pour trancher le nœud gordien de ce mot, il ne faut pas moins de plusieurs auteurs de référence. Richard Wittorski est le spécialiste reconnu de la professionnalisation et il part de ses travaux pour dégager les voies qui sont censées y mener. Or, chacune est liée à une modalité de formation qui engage plus ou moins les personnes et les collectifs. D’où sa proposition de distinguer formation professionnelle et formation professionnalisante, la seconde intégrant des critères de légitimité. Autrement dit, on retrouve l’origine de ce qui constitue une profession et son lien étroit avec l’obligation de moyens, lesquels sont construits, entretenus et modifiés par l’ordre professionnel, qu’il soit reconnu ou reste dans l’implicite. On ne peut que partager sa conclusion qui met en évidence la nécessité de « l’agir avec » (p.41) qui sera illustré par les deuxième et troisième parties de l’ouvrage.

En complément, Philippe Mazereau présente un cadre d’analyse multiniveau (« macro, méso, micro ») reposant sur « un intérêt de plus en plus marqué à aborder le travail, tel qu’il se pratique, au plus près de l’activité des travailleurs » (p.47). Ce chapitre permet de comprendre et d’approfondir la différence entre le travail prescrit dont l’impertinence (au sens propre) est mise en valeur et la nouvelle façon de considérer la professionnalité sous l’angle collaboratif qui lui convient afin de « préserver face aux instrumentalisations en termes de “bonnes pratiques” l’utilité critique de la recherche » (p.59).

Le chapitre de Thierry Ardouin qui plaide pour une « démarche d’ingénierie » contraste lors d’une première lecture avec le ton général de l’ouvrage. C’est sans doute plus une affaire de style, très expositif et positiviste, que de fond, même si certaines phrases comme « En ingénierie, la finalité prime sur les moyens et ces derniers sont au service de la réalisation » (p.62) semblent aller dans le (mauvais) sens d’un pilotage par les résultats. Il en va de même pour la proposition ACRE (analyser, concevoir, réaliser, évaluer) dont la nature itérative est quelque peu estompée par la nature assez abstraite de son développement. Pour entamer une « controverse professionnelle » avec l’auteur, il est possible de préférer l’analyse du travail (Jobert, Pastré, etc.) ou de l’activité (Clot, Faïta, etc.) à celle d’un problème (Dewey, Fabre). Paradoxalement, alors que la tension est au cœur de l’ouvrage, le mot n’apparaît pas dans le développement de ce chapitre tout entier consacré à un exposé ingéniérial et systémique bien qu’il soit répété trois fois dans la conclusion, ce qui ouvre de nouvelles perspectives dont on eût apprécié la mise en évidence en amont du texte. Certes, les tensions ne doivent pas être comprises comme des « oppositions clivées » (p.77), mais la question de nouvelles formes d’ingénierie de la formation aux métiers de l’humain reste en suspens, y compris en ce qui concerne la pertinence du terme.

Avec Thierry Piot, on retrouve les tensions et contradictions sous la double forme des mutations sociales clairement identifiées comme sources de difficultés et de la rationalisation des métiers du social qui vient heurter les valeurs fondatrices et les repères historiques du travail social : « force nous est de constater que les métiers adressés à autrui de manière générale et les métiers du travail social en particulier ne se laissent qu’imparfaitement décrire dans la logique ergonomique des référentiels » (p.87). Recourant à Clot pour le réel de l’activité et Vermersch pour l’évocation, Thierry Piot remet en cause « une exigence d’efficacité managériale, trop oublieuse des dimensions invisibles du travail social et de l’exigence du travail bien fait ».

Ainsi se termine cette première partie qui établit sur un plan épistémologique, mais aussi en termes de reconsidération de la nature et de la formation aux métiers de l’humain combien le transfert brutal de la rationalisation issue de l’hyper-modernité crée de dégâts sans toujours faire progresser la collaboration entre les professionnels et celles et ceux avec qui ils vont « faire ». Les enquêtes sur les professionnalités vont-elles infirmer ou confirmer cette nécessité d’une approche nouvelle, tenant compte des tensions entre le technique et l’humain ou le social et plus proche des sujets au travail ou bénéficiaires du travail ? C’est l’intention de la deuxième partie ?

L’orientation fait partie de ces missions en mutation. Elle connaît sa troisième époque : après une première période où elle n’existait pas dans le corps social voué à la reproduction, est venu le temps de l’adaptation et des tests censés déterminer la meilleure adaptation entre le métier et le travailleur. Puis est venu le temps du projet (Boutinet, 1990) et Valérie Cohen Scali enquête sur la déclinaison particulière que constituent les Permanences d’accueil, d’information et d’orientation ainsi que les Missions locales. Des centaines de lieux et des milliers de professionnels sont assignés à « un rôle “impossible” (réussir là où le système éducatif a échoué) » (p.102). Et pourtant, les conseillères et les conseillers agissent en recourant et en combinant « logique militante » qui leur permet de tenir, de contourner les obstacles liés au passif scolaire et « logique technique » faite de maîtrise de connaissances et de gestes professionnels d’ajustement. Les ressources utilisées (Guichard et Huteau, le travail sur les représentations) sont les mêmes que celles qui sont mobilisées depuis l’émergence du projet personnel de l’élève. Il ne s’agit pas du mythe de Sisyphe, mais plutôt de constater combien est lente l’irrigation de nouvelles professionnalités qui s’articulent davantage sur le réel des représentations des adolescents ou de jeunes adultes dont le projet professionnel comme personnel en est encore au stade du désir et de l’envie sans que soit encore envisagé le moyen d’en faire un but.

Si la formation professionnalisante ne peut s’adosser aux injonctions de nouveaux ingénieurs de la formation bardés de référentiels d’activité, de compétences, de formation et de certification, quelle voie peut permettre aux professionnels de se développer et de se conformer aux attentes des commanditaires de la formation professionnelle ? Jean-Luc Rinaudo présente dans son chapitre la ressource que constituent les groupes d’analyse de pratiques professionnelles. Ajoutant l’adjectif « clinique », il inscrit sa présentation dans des références psychanalytiques et rejoint les groupes Balint mis en place au début des années 1950 à la Tavistock Clinic à Londres pour des… médecins. Il s’appuie sur le récit de Guénola, infirmière débutante qui se retrouve incapable d’assumer ses débuts alors qu’étudiante, elle avait obtenu d’excellents résultats. Or, voici qu’elle va se former comme cadre de santé et qu’elle redoute de vivre à nouveau cette sensation d’échec si forte qu’elle conduit à la fuite. Et l’auteur de proposer « de considérer que la professionnalisation, selon une perspective clinique, soit ce processus qui conduit des acteurs à devenir des sujets professionnels » (p.119). Pour le dire autrement, le renoncement à l’imposition est le début de la reconnaissance d’un travail qui ne peut se faire qu’avec les acteurs et non sur eux ou sans eux et qui « permet qu’un travail de lien se mette en place » (p.120).

Dans le chapitre 7, Marc Bailleul et Jean-Yves Bodergat commentent une enquête par questionnaire qui a obtenu 900 réponses d’enseignants stagiaires en mai 2007 et dont la duplication un an plus tard a permis de recueillir 225 réponses de néo-titulaires. Les 28 questions présentées en annexe ont permis d’obtenir une grande majorité d’accord sur les compétences pointées. Toutefois, leur appropriation n’est pas réalisée au bout d’un an de formation et de la première année d’exercice, ce qui confirme les travaux d’Huberman (1989). En revanche, la résistance au projet institutionnel confirme la difficulté majeure de l’approche par compétences dont le degré de généralité et la non-inscription dans un développement professionnel font douter de la crédibilité comme outil de référence, de validation, voire comme but à atteindre. Passionnantes sont également les approches par discipline dont certaines sont plus sensibles au projet institutionnel comme les sciences de la vie et de la terre (SVT) alors que d’autres comme les sciences physiques lui semblent totalement étrangères. Rares sont les enquêtes de cette ampleur et de cette finesse puisque Jean-François Thémines en fera une extraction pour les 33 professeurs d’histoire-géographie de la population dans le chapitre 10 (avec une erreur dans son tableau qui oublie le 24e item, p.175). Là encore, se confirme une difficulté liée à la spécialisation d’études supérieures en histoire alors que la géographie et sa didactique sont négligées jusqu’au moment où l’historien se trouve sommé d’enseigner la géographie comme l’écrit Robert Ferras dans le Dictionnaire de géographie.

Anne-Laure Le Guern met en évidence un grand oublié de la formation des enseignants : les compétences collectives. L’institution s’obstine dans le déni de ces compétences, qui sont pourtant le bien commun de toute la profession, mais qui ne figurent que sous la rubrique bien pauvre du travail en équipe : toute la certification se fait en situation d’isolement. Pour affirmer cela, elle s’appuie sur une recherche menée sous forme d’instruction au sosie avec deux enseignants (Richard et Marie). « Le déni des compétences collectives [semble] lié à l’identité des professionnels, en dépit des prescriptions institutionnelles et des dispositifs de formation » (p.144). Cette recherche et les données fournies par les deux enseignants révèlent que l’inconscient de la formation des enseignants les place dans une situation qui les « empêche » littéralement de reconnaître que leur action leur échappe.

Dans le chapitre 9, Pablo Buznic-Bourgeacq s’intéresse à quatre enseignants d’éducation physique et sportive qui enseignent dans des Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA). Selon qu’ils en sont experts ou non, leur forme d’intervention varie. L’image de maîtrise à préserver face à l’élève détermine des comportements divers, mais qui rejoignent ce qui vient d’être vu sur l’attitude des professeurs d’histoire quand ils enseignent la géographie : « leur en mettre plein la vue » ou « je fais illusion, la gym j’essaie de faire illusion » (p.165). D’où la recommandation de reconnaître que les professionnels s’inscrivent dans « un jeu de tensions que chacun porte singulièrement » (p.168).

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux professionnalités en (re)construction et dans son chapitre Anne Monsimier montre comment la création du métier et du diplôme d’animateur professionnel est contemporaine d’un réaménagement des métiers et de la formation dans le travail social dont la définition n’est ni « ferme » ni « définitive » (p.196). Les choses se sont compliquées avec la dissociation du travail et de l’intervention sociale. Qui fait du travail social ? De l’inter-vention ? Comment et où former les professionnels ? La recherche menée par questionnaires et entretiens montre la persistance d’un « cœur de métier » qui résiste aussi bien aux injonctions institutionnelles qu’aux recherches scientifiques. Il faut se rendre à l’évidence : seule l’histoire permet de vérifier qu’une identité professionnelle s’est construite et diffusée. Valérie Leys s’intéresse à la réforme des formations en travail social en dressant un bilan qui commence par une histoire marquée par les deux premiers tournants des compétences et du processus de Bologne. Ce qui n’empêche pas de faire naître des tensions d’abord au niveau des compétences qui, considérées comme transversales, sont confiées, en France, à tous les enseignants, et donc à aucun en particulier. Leur présence dans la certification constitue une difficulté supplémentaire avec « une élévation du niveau de rigidité et de cloisonnement au sein des formations » (p.208). Le développement de parcours communs se heurte aussi aux logiques identitaires d’autant plus prégnantes que la France détient le record d’éclatement en nombre de professions reconnues (15). Enfin, sur un plan organisationnel, de nouvelles tensions apparaissent à l’exemple de cette coexistence discutable entre une validation progressive et cumulative par European Credit Time System (ECTS) et… un examen final !

Le chapitre 13 présente l’originalité de consister en un verbatim d’un entretien avec Bertrand Guesné et Véronique Le Boucher mené par Françoise Chébaux qui le fait précéder d’une présentation de six pages. Il est question, une nouvelle fois, des métiers de l’orientation et la présentation repose sur un renversement rhétorique entre le « travail d’une professionnalité » et la « professionnalité au travail » (p.214). Il s’agit, depuis l’émergence des professions du conseil, de partir de l’expression des jeunes et non de ce qu’on va leur proposer, mais il y a aussi le travail sur la professionnalité, c’est-à-dire qu’il faut favoriser « la création d’un rapport, d’une rencontre » (p.217). L’orientation échappe donc à tout enfermement dans une technique ou dans des procédures. Dès lors, quelle meilleure façon d’approcher le grain fin du travail que de dialoguer avec deux personnes expérimentées et actuellement en situation de responsabilité. Les contours d’un métier incernable se dessinent au cours de dix-sept pages que l’on peut prendre comme autant de données qui ne sont ni analysées ni exploitées. Sans doute, une illustration de l’impossibilité de définir la profession de conseiller et de sa perpétuelle évolution.

Le chapitre suivant est le premier d’une série de trois qui va traiter de métiers de l’enseigne-ment relativement peu étudiés : Karina Delanous interroge la mobilité (contrainte) des personnels de direction qui ne peuvent rester plus de neuf ans sur le même poste dans le même lieu. De fait, ils changent en moyenne tous les cinq ans. Quelles conséquences de cette clause introduite en 2000 ? Apparemment, les effets visés ne sont pas au rendez-vous et, comme dans les cas des professeurs responsables d’APSA, des stratégies d’image se développent : « montrer ce qu’on fait, savoir montrer qu’on fait des choses » (p.247) ou encore « être invisible, en limitant ce qui pourrait générer des conflits » (id.). Finalement, la mobilité est bien entrée dans les mœurs des personnels de direction, même s’ils déplorent de ne pas obtenir de conseils pour la prévoir, l’organiser et la confier à autre chose qu’au hasard ou à des commodités familiales. Toutefois, l’étude conclut à un effet très décevant de cette mesure qui ne peut à elle seule déterminer un réel changement dans la gestion des organisations apprenantes que devraient être les établissements scolaires.

Métier moins étudié par la recherche, celui d’inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) est analysé par Lydia Deret qui aborde la tension entre le rôle de contrôle et celui de formation. L’institution impose également un pilotage par les résultats qui va à l’encontre de la logique de développement des compétences. Une dernière tension réside dans l’opposition de l’individuel dont l’importance provient de l’histoire de l’institution axée sur la « façon de servir » et du collectif davantage lié au développement des projets d’école et d’équipes. Comme la plupart des auteurs, elle ne considère pas ces tensions comme des difficultés ou des obstacles, mais comme « ce qui fonde toute la complexité de la profession et c’est aussi ce qui en constitue tout l’intérêt » (p.261). Jean-Pierre Auvray n’est pas le premier à étudier le métier de Conseiller principal d’éducation (CPE). Mais il l’aborde sous l’angle de la professionnalisation alors que sa définition déjà ancienne, confuse, le laisse dans l’entre-deux du maintien de l’ordre et de l’accompagnement de l’élève (p.265). Il est donc obligé de nouer des alliances : avec le chef d’établissement d’abord, avec les équipes pédagogiques ensuite, avec le personnel médical, social et infirmier enfin. Se pose également la question de la relation avec les parents, mais elle est obérée par l’absentéisme des élèves que prend en charge la vie scolaire, service dont il a la responsabilité. Pour terminer, l’heure de vie de classe apparaît comme une occasion perdue de transformer la vie de la classe et le métier des élèves. Il y aurait donc deux façons d’envisager ce métier en voie de perpétuelle reconfiguration : rechercher cohérence éducative et cohésion des équipes ou co-construire « avec l’élève des savoirs et savoir-être utiles à son évolution » (p.273).

Le dernier chapitre rédigé à six mains par Nicole Clouet, Marie-laure Compant la Fontaine et Isabelle Estève-Bouvet porte sur les tensions et évolutions de la profession de professeur-documentaliste qui a évolué depuis qu’elle est reconnue par un Certificat d’aptitude aux fonctions de professeur de l’enseignement secondaire (CAPES), mais les choses n’ont été faites qu’à moitié : absence d’agrégation, bidisciplinarité de documentation et d’enseignement, mais sans charge de classe, flou et contradictions dans l’identité professionnelle partagée entre la responsabilité du service de documentation et la mission d’initiation à la société de l’information. Les auteures terminent en signalant que l’évolution de cette profession ne pourra s’achever que dans la transformation radicale du corps enseignant qui ne sera plus attaché à sa seule salle de classe. Dans leur conclusion générale, Pablo Buznic-Bourgeacq et Jean-Yves Bodergat reprennent la notion de tensions structurelles qui marquent de leur empreinte l’actualité des métiers de l’humain où projets des acteurs et logiques identitaires sont confrontés aux rapports sociaux de pouvoir dans lesquels les institutions ne sont pas les dernières à imposer de nouvelles façons d’agir et de penser. Dès lors, complexité et bivalence vont imposer des évolutions, voire des décisions brutales qui ne vont pas toutes dans le sens voulu ni même attendu par les spécialistes de la professionnalisation. Ce qui entraîne une redéfinition permanente des professionnalités et, paradoxalement, redonne aux professionnels des marges pour agir, inventer, jouer avec les limites. La deuxième et dernière partie de cette conclusion ouvre une porte sur la formation professionnalisante et ce grâce au concept de professionnalité qui caractérise l’ensemble de l’ouvrage. Il finit par établir qu’il est possible de se servir des tensions identifiées pour entraîner ou accompagner une dynamique nouvelle dans tous les métiers impossibles que sont les métiers de l’humain. Paradoxalement, une fois de plus, c’est l’instabilité, caractéristique de l’humain et du social, qui « permet d’ouvrir le champ des possibles » (p.297). Ce livre marque une date importante dans le traitement de la « tension » entre pensée rationnelle de la formation professionnelle marquée par les excès d’une professionnalisation prescrite, suivie d’une « déprofessionnalisation » par dépossession, et didactique professionnelle issue de l’analyse du travail. Cette dernière ne s’accom-pagne pas toujours de la conceptualisation de nouvelles formes de formation, tant il est difficile de partir du travail pour parvenir à son appropriation, surtout dans les métiers de l’humain, réputés impossibles. Les deux idées majeures traitées par l’ensemble des contributeurs sont en premier lieu la professionnalité qui est moins marquée d’ambiguïtés et de flou que la professionnalisation (Mazereau), car elle suppose qu’il existe un « cœur de métier » et qu’il peut évoluer sous l’effet de préconisations institutionnelles, d’évolu-tions organisationnelles, de modifications des techniques ou de volonté d’un corps de professionnels. Et les tensions qui constituent la deuxième idée majeure du livre peuvent favoriser ce changement, même si cette condition nécessaire n’est pas suffisante, car il faudrait pouvoir profiter du jeu qui existe entre institutions, gestion de l’histoire, projet et désirs des personnes, mais aussi favoriser le renouvellement de l’ingénierie en fonction du complexe et de l’incertain.

Richard Étienne, Professeur émérite en sciences de l’éducation, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Éducation, Formation (LIRDEF), Université Paul Valéry Montpellier 3

Document(s) lié(s) à cet article

28-recension-Bodergat-Etienne
[450.8 ko
0 X 0 pixels]

Site développé sous SPIP
RSS